Michel Clouscard aura pu écrire ailleurs : « On n’a jamais pensé faire la philosophie de la relation du produire et du consommer pour la bonne raison qu’elle a toujours été faite, mais à l’envers. La théologie, l’éthique, l’économie politique ont surdéterminé les deux processus qui n’ont servi que de moyens d’expression. Nous inversons la relation : produire et consommer se mettent en relation pour constituer la théologie, l’éthique, l’économie politique. » C’est bien la problématique de ce livre immense, qui reprend le projet hégélien : dire le réel selon sa logique, sans résidu transcendantal.
À travers la phénoménologie de la praxis globale, du début du Moyen-Âge à nos jours, Clouscard montre la logique de la production à l’oeuvre et produisant le réel sous la forme d’un code réduisant l’être. De référentiel transcendant pour la période féodale, ce code mutera en un référentiel transcendantal (transcendant laïcisé) avec l’émergence de la bourgeoisie. Cette dernière séquence culminera avec l’avènement de la bourgeoisie de robe et la vénalité des charges : l’intellect deviendra un métier qui s’achètera… « “Je pense donc je suis”… donc je suis » aimait à dire Clouscard : une conquête irréversible sera captée par une classe pour prendre le pouvoir sur l’existentiel. L’ego transcendantal alors s’arrogera le pouvoir de décision épistémologique et proclamera une prétendue universalité de sa problématique. L’effet, le procès de production de la connaissance, ne retenant que le résultat, prétendra se substituer à sa cause : le procès de production qui sera nié. Il faudra empêcher la non-intellectualité d’accéder à la transparence et au savoir d’elle-même, qui serait sa désaliénation, en la réduisant à un résidu à tout savoir.
C’est plus que jamais ce code de l’épistémologie bourgeoise qui réduit l’être de la cité aujourd’hui. L’épistémologie révolutionnaire, la philosophie de la praxis, procédera donc à rebours et reprendra le discours de ce néo-kantisme en révélant à travers lui la réalité qu’il cache. Par ce réalisme radical, on ne pourra faire l’économie d’étendre la lutte des classes au niveau épistémologique et ceci… même au sein de la famille marxiste.
« Son grand mérite revient à indiquer les meilleures conditions pour que l’histoire se révèle concrètement pour ce qu’elle est : une totalisation en cours. »
Jean-Paul Sartre. à propos de L’Être et le Code
prix public : 29 euros
ISBN : 978-2-37607-140-2
Jean Grimal
J’ai lu pas mal de livres de Clouscard et je partage l’essentiel de son discours, notamment son explication politique de mai 68 et de ses conséquences avec le libéralisme libertaire. Mais tant dans “Néofascisme et idéologie du désir” que dans “Le capitalisme de la séduction”, malgré quelques jargonnades ici et là, tout est parfaitement compréhensible.
J’ai commencé à lire “L’être et le code”, et après avoir enduré trois pages, je suis passé à autre chose. J’ai soumis ce début à quatre ami-e-s (deux filles et deux gars) qui ont tenu moins que moi. Pour le coup, l’être et le code est le bon titre, mais, nous n’avons pas les codes. Aucun de nous n’a compris quoi que ce soit au début du livre.
Dans sa préface aux “Principes élémentaires de philosophie” de Politzer, Georges Cogniot indique qu’il utilisait toujours un vocabulaire abordable par les ouvriers qui suivaient les cours des universités populaires du PCF et fustigeait les “intellectuels” qui utilisaient des mots savants.
C’est une qualité des marxistes-léninistes. Après, je sais que c’est une thèse, et je ne soupçonne pas Clouscard d’être élitaire. Mais je me demande à quoi rime cette réédition d’une oeuvre, qui par le fait même qu’elle est une thèse d’Etat (Etat bourgeois en l’occurrence) est obligée de suivre des chemins et d’adopter des codes qui ne sont compréhensibles que par un dix millième de la population, et encore. Ou alors, il fallait la publier en édition bilingue, avec traduction en français. Ou alors, plutôt, tenter une étude de l’oeuvre qui soit abordable par tout un chacun.
Je pense que, sans le vouloir, vous donnez à penser que la philosophie est destinée à une élite éclairée. Et, pour le coup, vous allez totalement à l’encontre de ce à quoi Michel Clouscard aspirait. Il y a là comme une forme de trahison.
Ceci dit, je ne lâche pas, je vais sauter des passages et m’attaquer notamment au moment historique.